L’affaire qui secoue Radio Nova et la classe politique offre un exemple saisissant de cette tendance, devenue presque mécanique chez certains pseudo-humoristes, à confondre satire et vitrine personnelle du scandale. En qualifiant la police et la gendarmerie de « Daech avec la sécurité de l’emploi », Pierre-Emmanuel Barré ne s’est pas contenté de forcer le trait : il a consciemment franchi une ligne symbolique lourde, celle qui sépare la critique du fonctionnement institutionnel et l’assimilation directe à une organisation terroriste responsable de massacres de masse. Une comparaison aussi outrancière que fragile intellectuellement, surtout dans un pays encore marqué par les attaques du 13 novembre 2015.
Le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez n’a pas tardé à réagir, déposant plainte pour des propos jugés « inqualifiables ». S’il est légitime qu’un pouvoir politique ne s’érige pas en censeur, il ne l’est pas moins qu’il réponde lorsque l’espace médiatique sert de caisse de résonance à des analogies aussi dégradantes qu’infondées. Le syndicat Un1té, choqué par ces « propos immondes », rappelle d’ailleurs que la France vient de commémorer des policiers tombés ou engagés lors des attentats de 2015 — un contexte que Barré, volontairement ou non, a foulé aux pieds.
Face à la polémique, Radio Nova joue la carte de la forteresse libertaire : défense absolue de la « liberté d’expression », refus catégorique de toute « menace », rhétorique classique dès qu’un de ses humoristes est mis en cause. Pourtant, la question n’est pas de restreindre la satire, mais de savoir si elle peut tout se permettre au nom du rire, y compris l’abolition de toute proportion morale. En présentant sans nuance la police comme une institution « structurellement brutale, raciste et déresponsabilisante », puis en l’assimilant à un groupe djihadiste, Barré ne cherche plus à révéler un dysfonctionnement mais à provoquer par principe, quitte à caricaturer le réel jusqu’à le déformer.
Cette affaire révèle surtout une crispation française autour de l’humour politique : certains pseudo-humoristes, persuadés d’incarner une forme de contre-pouvoir sacré, s’arrogent le droit de dynamiter sans discernement, tandis que les institutions réagissent parfois avec un sérieux qui nourrit encore le cycle du buzz. Entre provocation nihiliste et indignation institutionnelle, la démocratie gagnerait pourtant à retrouver un terrain commun : celui où la liberté s’exerce sans servir d’alibi à l’amalgame ni d’armure à la démesure. JCS
