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Quand l’uniforme ne protège plus

Il fut un temps où l’uniforme de la gendarmerie imposait, sinon le respect, du moins une certaine retenue. En croisant un képi, un calot, chacun savait qu’il faisait face à une autorité de l’État, à des femmes et des hommes investis d’une mission essentielle : protéger la population et maintenir l’ordre. Ce symbole, ce repère, semble aujourd’hui vaciller dangereusement. L’année 2024 a confirmé une tendance que beaucoup redoutaient : les agressions contre les gendarmes atteignent des sommets inédits. Plus de 9.400 faits recensés, dont plus de 5.400 physiques, parfois avec des armes à feu. Jamais la violence n’avait été aussi décomplexée. Jamais l’uniforme n’avait été autant piétiné.

Les chiffres du rapport de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) parlent d’eux-mêmes : entre 2015 et 2024, les violences visant les militaires de la gendarmerie ont bondi de 55 %. Une progression constante, implacable, qui traduit l’érosion d’un respect autrefois considéré comme acquis. Le constat est glaçant : deux militaires sont morts sous les coups ou les balles, plus de 3.000 autres ont été blessés. Et si les attaques à l’arme blanche ou par jet de projectiles tendent à baisser, les agressions par armes à feu ont explosé : +145 % en un an. À ce niveau, ce n’est plus un simple symptôme d’hostilité : c’est une mise en danger directe et mortelle.

Sur le terrain, les témoignages confirment cette réalité. « On n’imagine pas, en s’engageant, devenir soi-même victime de violences », confiait récemment un gendarme, traumatisé d’avoir été percuté par un véhicule lors d’un refus d’obtempérer. Le doute, l’inquiétude, la peur même s’invitent désormais dans des missions pourtant quotidiennes. Aller contrôler une voiture, intervenir dans un différend conjugal, sécuriser un rassemblement : chaque geste banal peut basculer dans la brutalité. Et face à cela, l’uniforme n’est plus un bouclier symbolique, mais parfois une cible.

Pourquoi ce basculement ? Plusieurs causes se conjuguent. La société française est traversée par des tensions profondes, une défiance généralisée vis-à-vis des institutions, et un climat d’insurrection larvée qui a éclaté, notamment, en Nouvelle-Calédonie en 2024. Mais ce contexte n’explique pas tout. Les forces de l’ordre, plus visibles que d’autres agents de l’État, deviennent les exutoires d’une colère sociale diffuse. La culture de la contestation radicale et la montée des violences dans l’espace public rendent plus fréquent ce qui, hier encore, apparaissait exceptionnel.

La question centrale demeure : que signifie un uniforme aujourd’hui ? Jadis, il incarnait l’autorité légitime et la protection collective. Aujourd’hui, il incarne pour certains l’ennemi, l’« adversaire » à abattre ou à humilier. Ce renversement est lourd de conséquences. Non seulement il fragilise la sécurité des gendarmes, mais il menace l’efficacité même de leur mission. Comment maintenir la paix publique quand ceux qui en sont chargés deviennent des cibles permanentes ? Comment recruter et fidéliser des jeunes dans ces conditions ?

Face à cette situation, la réponse ne peut être seulement statistique ou administrative. Elle doit être politique, sociale, symbolique. Il ne s’agit pas de sacraliser aveuglément l’uniforme ni de nier les dérives possibles, mais de rappeler collectivement ce qu’il incarne : un engagement au service du bien commun. La République doit réaffirmer que toucher à un gendarme, c’est attaquer un pilier de l’État de droit. Les sanctions doivent être plus rapides et plus dissuasives, les moyens matériels renforcés, et la formation adaptée à cette nouvelle ère de violences imprévisibles.

Jeremy Armante
Directeur de publication

Rédigé par pandore

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