Ces dix dernières années, les services de police et de gendarmerie français ont constaté une explosion du nombre d’enlèvements et de séquestrations. Ce phénomène en pleine expansion se caractérise par sa diversité, tant dans les profils des victimes que dans les motivations des ravisseurs. Si les chefs d’entreprise ont pu être associés à ce type de faits dans l’imaginaire collectif, les données et exemples récents révèlent une réalité bien plus complexe.
Une hausse alarmante et constante
En 2024, la police nationale a recensé 3 198 enlèvements et séquestrations (hors cadre intrafamilial), soit une augmentation de 25 % par rapport à 2015. À Paris et en petite couronne, les chiffres sont encore plus marquants avec 1 043 cas recensés, contre 761 neuf ans plus tôt, soit une hausse de 37 %. Mais c’est surtout dans les zones couvertes par la gendarmerie que la croissance est la plus spectaculaire : +67 % sur la même période, avec 1 093 affaires recensées en 2024, contre 650 en 2015.
Le Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) illustre aussi cette tendance : 20 interventions depuis début 2025, contre 23 pour toute l’année 2024. Cette dynamique traduit une criminalité de plus en plus organisée, rapide et violente.
Des affaires qui ciblent de nouveaux profils
Parmi les cas les plus récents et marquants, trois enlèvements liés au secteur de la cryptomonnaiese sont produits depuis le début de l’année. En mai, une tentative d’enlèvement d’une femme enceinte, fille d’un pionnier des crypto-actifs, a été déjouée grâce à l’intervention de témoins. En janvier, le cofondateur de Ledger, une entreprise emblématique du secteur, a été enlevé avec son épouse, ses ravisseurs allant jusqu’à lui couper une phalange pour obtenir 10 millions d’euros en bitcoins. Le 1er mai, le père d’un autre acteur majeur des cryptomonnaies a été enlevé et mutilé dans des conditions similaires.
Les criminels semblent avoir identifié le secteur des cryptomonnaies comme une nouvelle source de richesse. Comme l’explique la colonelle Marie-Laure Pezant, ces malfaiteurs évoluent avec leur époque et croient, à tort, que les paiements en cryptomonnaies sont difficilement traçables.
Criminalité crapuleuse, familiale, ou de bande : un éventail de motivations
Une analyse approfondie des dossiers de ces derniers mois montre que 29 % des affaires relèvent du domaine intrafamilial : enlèvements d’enfants suite à des conflits parentaux ou conjoints retenant leur partenaire. À côté, 20 % des cas sont des enlèvements crapuleux, avec pour objectif un enrichissement immédiat. Les victimes peuvent être séquestrées le temps de vider un compte bancaire ou de dérober une cargaison.
Les rapts avec demande de rançon restent marginaux : seules 44 procédures de ce type ont été enregistrées depuis 2019, bien qu’on note une tendance à la hausse (10 cas en 2024 contre 3 en 2021).
Les règlements de comptes, souvent liés aux trafics de drogues, représentent 18 % des cas, dont 7 % sont directement en lien avec le narcotrafic. Dans ces situations, la violence est souvent extrême et les victimes plongées dans des actes de torture et d’humiliation. Des adolescents ou jeunes adultes, parfois piégés via les réseaux sociaux comme Snapchat, sont ciblés dans le cadre de rivalités de bandes. Ils sont séquestrés, battus, violés, voire marqués au couteau comme formes de domination ou de représailles.
Des affaires sous-déclarées et difficilement quantifiables
La sous-déclaration est un problème récurrent. Par peur de représailles, méfiance vis-à-vis des autorités ou implication dans des affaires illicites, les victimes ne portent pas toujours plainte. Cette omerta complique la tâche des enquêteurs, d’autant que certaines affaires échappent complètement aux radars. De plus, la libération rapide des victimes (avant sept jours) tend à banaliser ces actes, selon la préfecture de police.
Les séquestrations assorties d’actes de torture restent rares mais choquantes. En 2024, cinq affaires impliquaient des mutilations : doigts coupés, ligaments sectionnés… Ces pratiques, inspirées du crime organisé, visent à briser psychologiquement les victimes pour accélérer le paiement de rançons ou le règlement de dettes.
Enfin, certains enlèvements se doublent de violences sexuelles, comme l’illustre un cas récent à Sète où une femme a été violée après avoir été séparée de son compagnon pour le forcer à rembourser une dette.
Une menace protéiforme et en expansion
L’augmentation des enlèvements et séquestrations en France ne se limite pas à une hausse quantitative : elle révèle surtout une diversification des formes de criminalité. Ces affaires, longtemps cantonnées à des cas isolés ou familiaux, s’étendent désormais aux sphères économiques nouvelles (cryptomonnaies, influenceurs), souvent marquées par une extrême violence. Face à cette évolution, les forces de l’ordre doivent adapter leurs stratégies et moyens pour répondre à des actes de plus en plus rapides, organisés et brutaux.