en

Les violences faites aux femmes : Un rapport appelle à une refonte profonde de la justice 

À l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes prévue demain, des magistrats ont remis au ministre de la Justice Gérald Darmanin un rapport ambitieux invitant à transformer la manière dont la justice française traite les violences intrafamiliales. Dans un contexte où plus de trois femmes sont victimes chaque jour d’un féminicide ou d’une tentative de féminicide conjugal, les auteurs Gwenola Joly-Coz et Eric Corbaux appellent à un véritable sursaut institutionnel. Leur conviction centrale est qu’un phénomène aussi complexe nécessite une réaction cohérente, coordonnée et spécialisée, à l’image de ce qui existe depuis plus de vingt ans en Espagne.

L’idée centrale : un « juge des VIF » pour éviter une justice éclatée

Le rapport propose de créer un nouveau type de magistrat : le juge des violences intrafamiliales (VIF). Ce dernier serait chargé de suivre l’ensemble des dossiers relatifs à des situations familiales violentes, qu’elles concernent le pénal ou le civil. Pour les auteurs, la fragmentation actuelle du traitement judiciaire crée des angles morts, des délais injustifiés et une perte de cohérence dans la protection des victimes.

Le juge des VIF aurait ainsi un périmètre élargi : il interviendrait sur les procédures pénales liées aux violences conjugales, mais aussi sur les affaires de garde d’enfants, de séparations conflictuelles ou de mesures de protection. Cette spécialisation permettrait d’éviter ce que les magistrats décrivent comme une réponse « en silo », où plusieurs juges interviennent sans coordination réelle alors que les situations sont intimement liées.

Les auteurs suggèrent même d’expérimenter des chambres VIF, réunissant dans une même audience les volets pénal et civil, afin d’avoir une vision globale et immédiate des risques et des besoins de la victime.

Le modèle espagnol : une inspiration assumée

La comparaison avec l’Espagne traverse le rapport comme un fil rouge. Les magistrats considèrent que « la France n’a pas fait sa révolution du genre », contrairement à son voisin qui a mis en place, dès 2004, une loi de protection intégrale contre les violences de genre.

L’Espagne a instauré :

  • des tribunaux spécialisés, entièrement dédiés au jugement des violences de genre ;
  • une formation renforcée et obligatoire pour les professionnels ;
  • un système national cohérent de suivi des victimes ;
  • le bracelet anti-rapprochement dès 2009 (adopté en France plus tardivement, en 2020).

Les auteurs estiment que cette politique de « tolérance zéro » repose sur une vision systémique qui manque encore en France. Ils dénoncent des formes d’inertie, des résistances internes et un certain « déni » face à l’ampleur du phénomène.


Former, mesurer, unifier : la construction d’une politique judiciaire cohérente

Le rapport insiste aussi sur plusieurs outils indispensables pour améliorer la réponse judiciaire. Les auteurs plaident pour :

  • un véritable outil statistique national permettant d’identifier, suivre et analyser les violences intrafamiliales ;
  • un code des VIF, c’est-à-dire un corpus juridique unifié rassemblant l’ensemble des textes applicables, aujourd’hui dispersés entre civil, pénal et procédures diverses ;
  • une formation renforcée pour tous les magistrats, orientée vers la compréhension des mécanismes d’emprise, de domination et d’escalade des violences.

Ils insistent notamment sur la nécessité de repérer certains signaux particulièrement prédictifs de féminicide : la strangulation, les menaces de mort explicites, ou encore un contrôle coercitif intense.

Un changement lexical pour restaurer la confiance des victimes

Les magistrats s’attardent aussi sur un problème souvent sous-estimé : le vocabulaire judiciaire. Ils recommandent de remplacer l’expression « classement sans suite » par « enregistrement sans poursuite », jugée plus compréhensible et moins dissuasive pour les victimes. Selon eux, la formulation actuelle renvoie l’idée que la plainte n’a aucune valeur, ce qui peut décourager les femmes à signaler des faits ultérieurs.

Une urgence nationale pointée par les institutions européennes

Les chiffres récents montrent une augmentation préoccupante des féminicides et tentatives : plus de trois par jour, selon la Miprof. Les associations estiment que ces données ne captent pas l’ensemble des violences et que de nombreuses situations échappent toujours au radar judiciaire.

En septembre, le Conseil de l’Europe a lui-même jugé « particulièrement préoccupant » le faible taux de poursuites en France concernant les violences faites aux femmes, appelant l’État à prendre des mesures urgentes. Le rapport remis à Gérald Darmanin s’inscrit directement dans cette exigence internationale de renforcement.

Une feuille de route pour un changement en profondeur

En définitive, ce rapport propose bien plus que des ajustements techniques : il dessine une refonte globale de la manière dont la France protège les victimes de violences intrafamiliales. En s’inspirant de l’Espagne et en internalisant une logique de spécialisation, de coordination et de fermeté, les magistrats tracent un horizon clair : celui d’une justice capable de répondre avec efficacité et cohérence à l’un des enjeux sociétaux les plus pressants du pays.

Rédigé par pandore

Laisser un commentaire

Un réseau de voleurs de vélos premium neutralisé par les gendarmes

La droite sénatoriale sonne l’alarme : un plan en 17 mesures pour « réarmer » la République face à l’islamisme