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La Police est-elle réformable ?

Depuis janvier 2020, des expérimentations sont menées au sein de la Police nationale pour transformer son organisation et son fonctionnement. En effet, d’une organisation en silo où chaque service est dirigé par un chef spécialisé, Police aux frontières, Police judiciaire, Renseignement et sécurité publique, le ministre de l’Intérieur souhaite rationaliser et demande à ce que l’échelon départemental dispose d’un seul chef afin de piloter en cohérence l’ensemble des moyens.

Les objectifs affichés sont louables. Unicité du commandement pour faciliter la prise de décision, décloisonnement pour mieux partager l’information, déconcentration pour assurer des décisions plus proche du terrain.

Mais l’opposition est forte, au point de mobiliser syndicats, associations, réseaux. Une opposition cristallisée notamment autour de la Police judiciaire, la célèbre PJ.
La Police nationale a connu deux réformes d’envergure, respectivement en 1985 puis, dix ans plus tard, en 1995. La réforme de 1985 était une loi de modernisation alors que la délinquance explosait. Ainsi, entre 1950 et 1980, la population française augmentait de plus de 21 %. Sur cette même période le nombre de faits constatés augmentait de 530 %. Malgré la réforme de 1995, le constat reste négatif. Sur la période 1950-2000, la population a augmenté de 40 %, les effectifs de la police de 92 % et la la criminalité, elle, bondit de 654 %…
Alors, certes, les méthodes ont changé, la mesure d’activité a changé, la délinquance a changé. Certains diront même que l’augmentation de personnel a permis de recueillir et de traiter cette délinquance qui était, peut-être, invisibilisée par le manque de moyens. Reste que les chiffres sont douloureux et dénotent que les réformes menées à leur terme n’ont pas eu les résultats escomptés.

La Police judiciaire serait donc en danger. Un danger incarné par la départementalisation des services dont certains arguments peuvent être entendus, certains sont d’ailleurs repris par les magistrats, dont on notera la solidarité malgré des manifestations récentes de policiers soulignant que le problème de la Police, c’est la Justice. Néanmoins, il semble que le constat soit biaisé, volontairement alarmiste.

D’abord parce que l’exemple de services d’enquête judiciaire avec une structure à la fois départementale et régionale existe. C’est le modèle de la Gendarmerie nationale vanté par le ministre devant les parlementaires. Effectivement, les brigades de recherches sont sous les ordres d’un commandant de compagnie, lui même aux ordres d’un commandant de groupement, soit le chef du département. Elles sont un échelon essentiel de la lutte contre la délinquance. Elles traitent des dossiers trop importants pour une brigade de gendarmerie mais qui ne nécessitent pas l’engagement d’une section de recherches basée à l’échelle régionale (avec parfois selon les bassins plusieurs sections de recherches par régions). Ainsi, au sein de la Gendarmerie, le principe de subsidiarité s’applique. Une affaire trop importante est gérée par l’échelon supérieur. Complexité, sensibilité, technicité, les critères sont définis et le principe connu et accepté. Les magistrats d’ailleurs travaillent avec la PJ et avec la Gendarmerie sans qu’un modèle ne soit déclaré comme inadapté. Les gendarmes ont également la charge de certains offices dont l’action est régulièrement soulignée positivement.
Mais le ministre et le directeur général de la Police nationale auraient fait un choix plus radical, de « départementaliser » ! Pas tout à fait. Les documents relatifs à la réforme évoquent clairement un projet plus riche. L’échelon départemental est effectivement le niveau choisi pour assurer la meilleure gestion, mais le DDPN n’est pas érigé en super DDSP. L’échelon zonal pourrait se voir rattacher certains services, comme les GIR. L’échelon zonal reste celui qui définit la doctrine, celui qui a une autorité hiérarchique sur les services de PJ, celui qui pourrait ramener à l’ordre un DDPN qui dévoierait le principe de la réforme.

Les différents échanges, les discours, les expérimentations semblent démontrer un projet aux détails encore perfectibles mais qui pourtant suscitent un véritable rejet. La Police judiciaire représente 4 000 personnels. Des profils expérimentés, passionnés, engagés, mais qui ne résoudront pas les problèmes des unités de sécurité publique.

C’est une réforme où l’anticipation n’a pas suffi pour convaincre. Par précaution, par acte réflexe, elle est rejetée aux motifs de risques hypothétiques. Cependant, à l’heure où les enjeux s’intensifient, bloquer une réforme plutôt que de l’accompagner paraît pour le moins cavalier. Et si la réponse est dans le report d’un dossier initié en 2014, mis en expérimentation depuis 2020, c’est à se demander si on peut réformer la Police nationale.

« Ce qui est frappant, c’est que l’exécutif n’arrive pas à réformer la Police nationale », souligne le directeur de recherches du CNRS Sébastian Roché. « Cela fait trente ans que le ministère de l’Intérieur se dit qu’il devrait rationaliser l’organisation de la Police nationale, cela montre la profondeur de la crise, ajoute-t-il. Mais hormis le sujet de la lutte antiterroriste, l’Etat est incapable d’aller au bout de ses réformes policières, alors qu’on alloue sans contrepartie des moyens énormes au ministère de l’Intérieur. »

Source : Dalloz actualité

La réponse est peut-être dans ces quelques lignes. Rationaliser la Police nationale en réduisant le nombre de chefs. Les contreparties passent toujours moins bien que les protocoles.

Source: GENDXXI – Le Pandore et la Gendarmerie n°31

Rédigé par pandore

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