Un an après le lancement de la plateforme Uniforces, policiers et gendarmes se heurtent à une pénurie massive d’uniformes. Retards de livraison, équipements défectueux, réservistes contraints de s’habiller grâce aux dons : enquête sur un marché public de 300 millions d’euros qui tourne au désastre.
Une plateforme unanimement rejetée
« Bérézina », « galère sans nom », « catastrophe de A à Z » : les mots sont durs, mais le malaise est réel. Uniforces, plateforme de commande des uniformes policiers et gendarmes, devait simplifier la vie des 250 000 agents. Un an après sa mise en place, elle concentre toutes les critiques :
- retards allant jusqu’à six mois,
- commandes incomplètes ou erronées,
- articles affichés en stock mais introuvables,
- service après-vente inexistant.
Résultat : certains réservistes se retrouvent sans tenue. En Normandie, un général de gendarmerie a même lancé un « appel aux dons » en interne pour habiller ses renforts.
Des témoignages édifiants
Marc*, gendarme en mission montagne, attend depuis huit mois une nouvelle paire de rangers :
« J’ai dû les recoller six fois avec de la colle. Impossible de travailler correctement, c’est une catastrophe ! »
Damien*, logisticien dans un escadron mobile, raconte quant à lui devoir contourner les règles :
« Les jeunes sortent d’école sans pantalon ni veste. Je recycle les uniformes de retraités ou de mutés pour les équiper. Sinon, ils partiraient sur le terrain en civil. »
Du côté de la police, la situation n’est guère meilleure. Emmanuel Cravello, syndicaliste Alliance, dénonce « une galère sans nom » pour équiper CRS et unités de voie publique.
Cérémonies officielles sous tension
Le fiasco logistique s’invite jusque dans les événements les plus symboliques. Aux écoles de police, les promotions reçoivent parfois leurs uniformes la veille des cérémonies de sortie. Pire encore : pour le défilé du 14-Juillet, des élèves commissaires ont dû emprunter des fourragères à leurs collègues pour éviter de défiler avec une tenue incomplète.
« En trente ans de carrière, je n’ai jamais vu ça », lâche un cadre policier.
Un changement de prestataire raté
Derrière ce chaos se cache un marché public de 300 millions d’euros attribué en février 2024 au groupement LEM (Leo Minor, Eminence, Marck & Balsan). Il succède à Paul Boyé Technologies, fournisseur historique depuis plus d’une décennie.
Une période de transition de six mois devait éviter toute rupture. Mais le stock tampon promis n’a été livré qu’avec huit mois de retard. Dès l’automne 2024, les ruptures ont commencé.
Paul Boyé minimise ses responsabilités. Marck & Balsan reconnaît des « difficultés logistiques » : la plateforme Uniforces n’était pas prête, les premières commandes comportaient des erreurs massives.
Pénalités… sans effet
Le ministère de l’Intérieur a infligé des sanctions financières aux prestataires. Montant : secret. Mais pour les syndicats, cela ne change rien.
« Les collègues restent sans uniforme. Ça fait une belle jambe que l’État touche des pénalités », grince Emmanuel Cravello.
Résilier le contrat ? Théoriquement possible, mais jugé impraticable : relancer un marché prendrait des mois et risquerait une rupture totale d’approvisionnement.
« On est pieds et poings liés pendant quatre ans », soupire un représentant syndical.
Le bricolage en attendant mieux
En attendant, policiers et gendarmes multiplient les solutions de fortune : prêts entre collègues, réutilisation de tenues anciennes, achats personnels. Une aberration pour un marché censé professionnaliser la logistique.
Notre ami, David Ramos, président de l’association GendXXI, dénonce :
« L’État paie le prix fort, les prestataires encaissent des sommes monumentales, mais le service est défaillant. »
Lueur d’espoir ou mirage ?
Le ministère assure que la situation s’améliore : suivi hebdomadaire, priorisation des livraisons, renforts humains. En juin 2025, 250 000 articles ont été commandés et 220 000 expédiés.
Laurent Marck, directeur général de Marck & Balsan, promet un retour à la normale à l’automne :
« Dans quelques semaines, ce marché fonctionnera normalement. »
Mais du côté des syndicats, la prudence reste de mise : « On peut commander, oui, mais les délais et les erreurs persistent. »
Un fiasco révélateur
Au-delà de la crise, l’affaire Uniforces illustre les fragilités des grands marchés publics : dépendance à un prestataire unique, délais industriels incompressibles, absence de transparence. Pour les forces de l’ordre, c’est un enjeu stratégique : sans uniformes fiables et disponibles, c’est la mission même de sécurité intérieure qui vacille.
À court terme, seule une montée en puissance rapide de la logistique pourra calmer la colère. Mais à long terme, une question demeure : l’État peut-il encore habiller correctement ceux qu’il envoie protéger les Français ?
Jerermy Armante
Directeur de Publication
*Les prénoms ont été changés
Source : les enquêtes d’Actu.fr